J'ai rencontré le général de Vassoigne dans la petite maison où il est né il y a deux cent ans.
- Bonjour mon général. Que pensez-vous de la Martinique du XXIe siècle ?
- C'est un département magnifique. Vous vous en êtes sûrement rendu compte, au cours de votre séjour avec le congrès national de la fédération des Troupes de Marine.
- C'est vrai mon général. Il y a 38 ans j’étais à Fort Desaix, en séjour pour 3 ans. Aujourd’hui les différences sont extraordinaires.
- Précisez !
- Un effort exceptionnel a été fait pour l’habitat. Quel que soit l'endroit où on se trouve, partout où porte le regard, on voit, cascades multicolores dévalant les pentes des mornes, des cases coquettes, des villas avec leurs toits à quatre pentes peints en verts, bleu rouge, blanc etc. des immeubles parfaitement intégrés à la nature qui regardent la mer à l’infini.
L’infrastructure routière a été bouleversée : des routes à quatre voies ou des autoroutes remplacent les chemins inconfortables du passé.
Des nouveaux hôpitaux ont surgi et assurent aux habitants de l'île et au-delà, un soutien santé remarquable.
Et je n'oublierai pas de mentionner l'accueil chaleureux de ses habitants. Hébergés en marge de mes collègues de la fédération j'ai pu apprécier la gentillesse, la discrétion, et le professionnalisme de mes hôtes. J'adresserai une mention particulière à la femme martiniquaise fière, toujours gaie dont le sourire est un soleil et dont le port est celui d’une reine.
- Vous me dressez là un tableau idyllique de cette île.
-Amplement mérité mon général. Mais...
- Ah ! Il y a une ombre.
- Je crains de vous choquer.
- Quoi donc ?
- J’y viens. Il y a 38 ans les réminiscences du passé n’occupaient pas une telle place. En effet durant notre séjour actuel, il n'y a pas eu un seul moment où les médias, journaux ou télévisions, n’ont rappelé la période de l'esclavage ou de la colonisation. Certains intellectuels locaux vont jusqu'à y prétendre que les Martiniquais vivent toujours sous le statut du code noir, statut dans lequel l’esclave ne peut être qu’esclave ou esclave affranchi ! C’est dans ce contexte que, durant tout ce mois de mai, ont été organisées des marches pour demander réparation des conséquences négatives de l'esclavage sur le peuple Martiniquais, la principale étant la non reconnaissance de son identité.
- Je vois, mais cela ne concerne qu’une minorité d’individus, 10 à 15% au plus.
- C’est exact, mais cette population est particulièrement active et a une forte emprise sur les médias et le milieu scolaire. Son activisme finit par avoir des effets sur les autres 85 à 90 % de la population qui restent dans une expectative où se mêlent inquiétude, doute et impuissance. Déjà s'établit une atmosphère délétère qui conduira peut être progressivement vers le refus du français métropolitain par l'Antillais ou l'inverse.
- Je pense que vous peignez là une situation conjoncturelle et que cette Martinique qui a été le berceau de ma jeunesse surmontera cette crise, comme elle en a supporté d’autres dans le passé. Avez-vous fait part de vos réflexions à mes illustres concitoyens : le général Brière de l’Isle, au général Reboul et à tous ces dissidents qui refusèrent l’emprise de Vichy sur l’ile et rejoignirent les FFL pendant la seconde guerre mondiale ?