LE MEPRIS

 

L'accident de Carcassonne le mois de juin dernier est un drame intolérable. Sans aucun doute des erreurs graves ont été commises et doivent être sanctionnées sévèrement à leur niveau. Ce drame est d'autant plus incompréhensible que le soldat hors du théâtre d'opérations passe l'essentiel de son temps à s'entraîner afin d'entretenir les réflexes au combat. Mon propos n'est pas de chercher des circonstances atténuantes, même si depuis des années on demande à l'institution militaire de faire plus avec toujours moins, et que tant à tirer sur la corde qu'à la fin elle se casse.

« Vous n'êtes pas des professionnels ! » C'est ainsi que le président de la république s'adresse aux chefs d'état-major de l'armée de terre, le représentant de tous les soldats qui combattent sur tous les fronts, le représentant de ces milliers de morts en Indochine, en Algérie, en Bosnie, au Liban, au Kosovo, en Côte d'Ivoire, en Afghanistan et en bien d'autres endroits encore. Ainsi il ignore que l'armée française accepte professionnellement tous ces morts car elle se bat pour la Nation.

La grande muette subit, dignement et sans manifester, des changements en tous genres, suppression du service national, dissolution de régiments, cession de casernes et de terrain de manoeuvre aux collectivités, capacités opérationnelles des unités diminuées de moitié. On ne pourrait en dire autant d'autres collectivités, hautement respectées par le chef de l'État, alors qu'elles cassent et saccagent, et font entendre dans le ciel de France leurs clameurs indignées lorsqu'il s'agit de réformes qui touchent à leurs droits acquis. La grande muette supporte, constate, mais s'inquiète.

Dans notre armée républicaine, il existe un lien étroit entre la Nation et son armée, un lien de confiance, ainsi : l'armée de Valmy pendant la révolution française, de Napoléon Ier au temps de sa splendeur, celui de la première guerre mondiale et enfin de l'armée d'Afrique durant la seconde guerre mondiale. C'est ce lien de confiance qui fait que le soldat est prêt à tous les sacrifices pour la défense d'une cause qui lui est supérieure.

Or, à de nombreux signes (place du ministre de la défense dans l'ordre protocolaire, participation quasi inexistante des chefs militaires à l'élaboration du livre blanc et à la restructuration des armées) il semblerait que plus que jamais, la déclaration discutable de Georges Clémenceau soit au goût du jour : « la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier à des militaires ». Le risque devient grand de voir briser ce lien, alors le soldat devient un mercenaire, il n'est qu'un « professionnel ». À ce moment on peut imaginer que la nation, avec juste raison, rejettera le soldat de métier, soldats méprisés et brocardés.